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«Le sirop d’la rue» sur scène:

trois concerts exceptionnels

 

ANNEMASSE – Après une prestation remarquée en «after» du concert de Juliette Gréco, en janvier dernier, «Le sirop d’la rue» réinvestissait le centre culturel de Château-Rouge, du 16 au 8 janvier 2014, pour trois cafés-concerts extraordinaires. Récit.
 

 

 

Voir «Le sirop d’la rue», sur scène, est une chance. Assurément. Un de ces moments de grâce où tout, du choix des chansons à leur orchestration et surtout, à leur interprétation, est en synchronie. Le chanceux public de Château-Rouge a encore pu le constater, la semaine dernière, à l’occasion des trois prestations exceptionnelles que le groupe a réalisées.

 

Exceptionnelles, les prestations du «Sirop…» le sont, pour de multiples raisons. Cela est dû à la qualité du répertoire, sans aucun doute. Qu’il s’agisse de titres de Serge Gainsbourg, le Gainsbourg des débuts, jazz aux paroles ambitieusement littéraires, qui correspond précisément au style du «Sirop…». Avec «L’alcool», «Black trombone» ou bien sûr «Le poinçonneur des Lilas» que Stéphanie Quastana, la chanteuse, interprète aux confins de la folie, illustrant par-là l’aliénation que provoquent tous ces «petits trous» dans l’esprit du contrôleur de la RATP; Mais aussi d’Edith Piaf (ou plutôt Piaf dans une réinterprétation proche de celle que peut en faire Zaz, par exemple). Tant il est vrai que l’orchestration manouche incite à ce rapprochement. Quand elle entonne «La foule», Stéphanie, sans rien renier à son talent, se mue alors en conteuse. C’est là qu’elle puise sa force (là, et dans ses capacités vocales pour le moins incroyables), dans le sens qu’elle donne aux mots qu’elle chante.

 

Du contrebassiste au batteur et au guitariste rythmique, tous les musiciens de cette formation (électro)acoustique sont excellents; avec une mention spéciale à attribuer cependant au guitariste soliste, Samy Dib, pour sa technique, sa musicalité mais aussi sa faculté (la sienne et celle qu’il insuffle au groupe) à se réapproprier des chansons pourtant maintes fois entendues. C’est évident tout au long des une heure vingt que dure le concert, mais cela frappe particulièrement sur «Pauvre Martin» de Brassens, timide ballade triste de l’ami Georges, alors débutant, que «Le sirop…» sublime, musicalement, durant près de cinq minutes. Et pour qualifier la prestation de Stéphanie sur ce titre (sur l’ensemble du répertoire, également), c’est le terme d’«habitée» qui correspondrait le mieux. Qu’elle chante la prostituée attendant en vain son accordéoniste d’amoureux parti mourir à la guerre («L’accordéoniste»), le client compatissant de ces mêmes prostituées («La complainte des filles de joie») ou ce pauvre Martin bêchant sa vie entière, et jusqu’à sa propre tombe, Stéphanie habite ses chansons, au sens où un comédien campe un rôle. Sauf qu’ici, rien n’est sur-joué; tout sonne juste, sans une once de fausse note.

 

Réentendre comme pour la première fois

 

Et quand elle poursuit, seule s’accompagnant à la guitare, le temps d’un titre, c’est encore pour surprendre avec un Brel moins attendu. Là, il n’est plus question de performance, mais d’émotions, et les mots de «Il nous faut regarder», à l’instar d’autres au demeurant, brillent soudainement d’un tout nouvel éclat. Les titres que l’on ne connaît pas, on les écoute avec attention (ô, privilège ultime d’entendre aujourd’hui encore des chansons dont les textes retiennent l’attention!). C’est le cas de «Cocaïne» (de Nitta Jo) ou encore de «La bérézina»: Tu le sais bien qu’on aurait dû mourir au moins mille fois / Mon vieux copain, la bérézina / Tout ça c’est du rab, ne l’oublie pas / Ne l’oublie pas.

 

Quant à toutes les autres, que l’on connaît par cœur pour certaines («Amsterdam», «Vesoul», «L’hymne à l’amour», «Il est cinq heures, Paris s’éveille»…), on les réécoute comme si c’était la première fois. Comment «Le sirop d’la rue» réussit-il ce miracle de redonner à entendre, comme neuves, des chansons qui ont parfois cinquante ans? C’est tout le talent du groupe, entre respect absolu au répertoire et libertés inspirées, à l’image du human beatbox que Stéphanie ose sur «Pauvre Martin», préfigurant les battements du cœur du héros, alors qu’il se meurt. Pas de doute à cela: Brel, Brassens, Gainsbourg, Vian et tous les heureux auteurs, compositeurs et interprètes repris lors de ces trois prestations à Château-Rouge, ne peuvent qu'être fiers qu’en 2014, on joue encore leur musique. Et qu’on la joue, surtout, avec cette intelligence.

 

Par Bertrand Durovray - Article publié le 28/03/2015

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

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